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La fin de la Bretagne romaine (3)

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De l’influence du britto-latin (et donc du Brythonic ancien)

 

La présence impressionnante de mots d’origine latine en Anglais est souvent attribuée à l’influence du Français introduit après la conquête normande en 1066. Elle est si importante qu’elle ferait douter de la pertinence de la classification de l’Anglais dans la famille des langues germaniques, car quel que soit le facteur considéré : lexical, morphologique ou phonologique, les différences avec les autres langues de ce groupe paraissent considérables.

Ainsi est il admis que la proximité lexicale du français et de l’anglais se manifeste de manière remarquable, de 50 à 70 % du vocabulaire anglais courant est d’origine latine, même si cela dépend du niveau de langue considéré, « populaire » ou plus « universitaire » et du contexte d’usage : familier, professionnel, professoral ou journalistique.

D’autre part environ 3000 mots français et anglais, relativement usuels, partagent la même orthographe et la même signification, (sans compter les nombreux mots dont l’orthographe diffère légèrement : example = exemple ; language = langage ; soil = sol ; category = catégorie ; socialism = socialisme … etc.) et même s’il existe de nombreux doublons d’origine germanique, ces mots d’origine latine ne sont pas considérés comme étrangers.

Pour autant l’hypothèse normande m’a toujours semblé largement insuffisante pour expliquer une telle proximité, d’autant que la langue des institutions religieuses, le latin ecclésiastique, était demeurée inchangée après la conquête.

Ensuite de même que pour les précédentes, qu’il s’agisse de la romaine ou de l’anglo-saxonne, la nouvelle élite politico administrative normande n’était pas si impressionnante en terme numérique, car elle n’agrégeait qu’un très petit groupe d’environ 30 000 individus au grand maximum, pour une population autochtone très certainement comprise entre 1 et 2 millions d’habitants.

Comment donc expliquer sérieusement un impact du français (du latin ?) aussi massif ?

Alors comme à l’étape précédente, concernant le degré d’influence exercé par la langue des nouveaux arrivants sur celles des locaux, il convient de reprendre les études passées, à la lumière de nouvelles approches offertes par les recherches récentes sur les situations de langues en contact.

La théorie classique basée essentiellement sur l’étude des manuscrits à différents stades du développement de l’Anglais post normand : Moyen Anglais, Anglais moderne natif etc. ; a laissé la part trop belle à l’écrit sans se soucier outre mesure de la variété des langues que pouvaient bien parler quotidiennement les divers groupes de populations en contact.

On pourrait peut être tenter d’autres approches et tester d’autres hypothèses ?

Si l’on admet enfin que le Vieux Saxon ou le Vieil Anglais n’étaient plus que des langues de culture et de différenciation d’une caste dirigeante soucieuse de justifier son extraction supérieure face au reste de la population parlant une langue totalement différente. On peut facilement comprendre que le vocabulaire d’origine latine, même dans sa variante franco-normande, se soit intégré aussi facilement et aussi profondément dans la langue parlée résultante, pour la bonne raison que ces termes y figuraient déjà largement, peut être sous des formes légèrement différentes mais parfaitement inter-compréhensibles.

Et comme avait pu le dire Tolkien dès 1955 :  »L’Europe du Nord-Ouest en dépit de ses divergences sous-jacentes en matière d’héritage linguistique : Gaélique, Brythonique, Gaulois ; ses variétés de Germanique ; et la puissante intrusion du latin vernaculaire – constitue et a constitué une seule province philologique, une région si interconnectée en matière de race, de culture, d’histoire et de fusion linguistique que ses philologies régionales ne peuvent s’épanouir dans l’isolement.

Tout comme les Romains puis les Anglo-Saxons avant eux, les Normands ont installé leur nouveau pouvoir dans le Sud Est de la Grande Bretagne. La région de l’île ou le latin avait eu la plus forte influence durant un millénaire.

Il est donc hautement probable que le Britto-latin a contribué à véhiculer l’influence substratale initiale Brythonique au cœur de la langue Anglaise même après la conquête normande.

C’est une hypothèse qui semble tenir la route. La difficulté est de parvenir à l’étayer maintenant par des preuves

C’est à ce niveau de la réflexion que m’est venue une idée qu’il me semble n’avoir jamais entendue auparavant.

Je pense qu’aujourd’hui, il serait possible d’engager une opération de type « big- data » (terme d’origine scandinavo-latine, qui parle cependant en français actuel) pour rechercher systématiquement des relations sémantiques qui n’apparaissent pas forcement au premier abord à part dans les cerveaux de quelques rares chercheurs polyglottes, notamment locuteurs natifs de Gallois ou de Breton et parfois professeur d’Anglais, au terme d’une vie entière consacrée à leurs études linguistiques.

Pour ceux qui ont connu les conférences d’Albert Boché, ces séances représentent ce qu’il conviendrait de programmer en langage informatique pour comparer différents corpus linguistiques dans leurs versions contemporaines. Ce qu’un esprit humain, même après une longue vie d’étude et d’entraînement quotidien, serait incapable de faire systématiquement.

Les questions adressables au moyen d’un tel logiciel, qui reste à concevoir, sont illimitées et recevraient des réponses quasi instantanées. La nature de certaines études linguistiques en serait profondément affectée dans la mesure ou ce ne serait plus la recherche d’exemples pour prouver telle hypothèse qui accaparerait l’essentiel du temps de travail, mais bien plus l’analyse des informations extraites de l’exploitation par le logiciel de corpus taillés sur mesure.

Il est probable que sont déjà disponibles en version électronique tous les textes latins dans leurs moutures originale et traduite, contenus dans tous les manuscrits produits par les moines britto-romains entre les VIIIème et Xème siècle pour commencer, de même que tous les textes latins produits par les moines anglo-saxons de la même période, ainsi que d’autres corpus en Vieux Gallois ou en Vieil Anglais etc.

Il devient dès lors possible, par exemple, d’imaginer de comparer les champs sémantiques de chaque terme dans les différentes langues disponibles de la période historique considérée et de voir ce qui se passe.

Est ce que cette méthode produirait des résultats, il est difficile de le savoir avant de l’avoir testée.

Albert Boché y parvenait naturellement dans l’improvisation la plus totale et donc sans notes, lors de ses passages impromptus sur le stand de Skol Vreizh au festival de Lorient, ou j’ai eu l’occasion de profiter du spectacle chaque été durant plusieurs années et le résultat était chaque fois vraiment remarquable et impressionnant.

C’est ce qu’il convient de systématiser à présent pour prouver ou invalider l’hypothèse de l’influence brittonique sur l’anglais également à travers le latin.

 

Gwenaël HENRY

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